J’ai mis du temps à m’exprimer sur ce sujet non pas par gêne ou par tabou mais plutôt par pudeur. Le don, j’ai pu le sentir dans mes tripes. J’ai pu donner à notre fils le lobe gauche. Et le gruyère que j’ai sur mon ventre me le rappelle 🙂 On m’a précisé pouvoir esthétiquement essayer d’atténuer les « trous » multiples mais honnêtement je préfère garder mes trous, cela me rappelle combien la vie est précieuse et lorsque je peste il m’arrive de soulever (pas en public bien évidemment) mon pull et de « contempler » le miracle de la médecine.
Mon fils, cet été, a touché les cicatrices en me regardant dubitatif. Alek sait situer son « bobo » et je lui ai expliqué que maman a eu aussi un bobo. Je n’essaye pas de minimiser le fait de donner un morceau de soi car il faut en parler pour permettre aux personnes d’être informées et de prendre la décision qui leur est personnelle. J’essaye dans la mesure du possible d’englober dans ce geste toutes ses ramifications: ce n’est pas que moi qui suis donneuse. Mon époux, Mathieu, qui aurait aimé de tout coeur pouvoir m’enlever cette douleur, a été un soutien très précieux, le pont entre Alek et moi, entre la famille/les amis et moi, entre le corps médical et moi. Je n’ai pas ressenti la peur de la perte, la peur des complications, j’ai pris le train en route et me suis confortablement installée attendant que l’on me soigne et m’apporte des nouvelles et des photos de notre fils, avant de pouvoir le toucher et l’étreindre.
C’est finalement un don de soi que l’on mène à plusieurs. Mon entourage familial et amical a après coup exprimé toute la peur de cette intervention, jamais ils n’ont manifesté ouvertement leur appréhension pour ne pas me déstabiliser.
Mathieu et moi, dès le début, nous ne souhaitions pas faire appel à un donneur cadavérique, pensant que si nous pouvions donner nous permettrions à des malades en attente de bénéficier d’un don de plus. Nous avions le sentiment de prendre la place de quelqu’un qui est dans une attente interminable, de lui sacrifier une chance dans la mesure où nous étions compatibles et en bonne santé. Mon époux a vécu le refus du chirurgien de ne pas opter pour lui comme une douleur monumentale, c’est un homme avec un sacré gabarit peu adapté. Il avait le sentiment de me pousser vers la douleur et les risques. Nous en avons parlé plusieurs fois, j’ai dû aussi (chose peu évidente) lui exprimer mes choix, mes désirs si les choses se passaient mal. En fait je n’y avais pas pensé du tout mais lors du parcours administratif menant au don, la rencontre obligatoire avec un psychiatre permet de prendre en considération des éléments occultés, oubliés mais finalement pas si dénués de sens.
En qualité de maman et papa, le don va de soi et il est plus difficile lorsque tout son corps et son âme crie au don de ne pas pouvoir donner (pour des raisons de santé, des raisons de fratrie évidentes,…).
J’ai eu finalement un choix simple, j’étais en bonne santé (je le suis toujours, d’ailleurs j’ai repris le marathon avec encore plus de motivation et une cause à défendre), et Alek est notre seul enfant. Ce don a uni nos forces, a décuplé les miennes, ma foi en l’avenir, ce don tisse de nouveaux liens lorsque certaines personnes souhaitent des informations supplémentaires. Il n’est que richesse, en enlevant une partie de moi, on m’a tant donné !
Chaké.