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Transition

photo du Pr Alexandre Louvet, hépatologue au CHU de Lille
Pr Alexandre Louvet
photo du Pr Sébastien Dharancy, hépatologue au CHU de Lille
Pr Sébastien Dharancy

Interview du Pr Alexandre Louvet et du Pr Sébastien Dharancy, hépatologues en service adulte au CHU de Lille

  • Les maladies du foie à début pédiatrique étant des maladies rares, y a-t-il des aspects spécifiques à ces maladies qui rendent la transition particulièrement complexe ? (par exemple la coordination de la prise en charge des patients atteints de maladies qui touchent plusieurs organes telles que le syndrome d’Alagille)

    En effet, l’enjeu principal autour de la transition est celui de la coordination de prise en charge entre plusieurs spécialistes de médecine adulte. Ceci dit, concernant les maladies du foie ayant débuté dans l’enfance, l’hépatologue hospitalier est le plus souvent l’interlocuteur privilégié et il est assez rare que de nombreux autres spécialistes soient impliqués, même s’il existe des différences en fonction de la pathologie concernée. Comme souvent dans les maladies rares, la bonne connaissance de la pathologie par le praticien qui prend en charge le jeune adulte est un élément central dans la réussite de la transition. Les familles comme les professionnels plébiscitent souvent l’idée d’un ‘guichet unique’ de coordination qui serait une sorte ‘tour de contrôle’ pour assurer un continuum et aiguiller les familles vers les différents intervenants en cas de maladie touchant plusieurs organes et systèmes. Ce type d’approche gérée par des IDE de coordination, voire à l’avenir d’IPA, améliorerait le parcours de soin et rendrait probablement la période de transition moins anxiogène et complexe.

  • Comment assurez-vous une continuité des soins pour ces patients ?

    L’unité de lieu (service de pédiatrie localisé dans le même établissement que le service de médecine adulte) est bien entendu souhaitable mais elle n’est malheureusement pas toujours faisable. Quand cela n’est pas possible, la bonne communication entre les praticiens permet tout de même à la continuité des soins d’être maintenue. Nous concernant, le dossier informatique partagé est, par exemple, un outil bénéfique et utile pour accéder en temps réel à quasiment l’ensemble des consultations et examens complémentaires et biologiques réalisés garantissant la continuité de l’information. Une ligne de garde séniorisée d’hépato-gastro-entérologie sur place 24/24-7/7 permet de répondre aux demandes ou événements urgents. La continuité des soins est assurée par l’anticipation et la préparation de la transition par une transmission d’information bien en amont de chaque cas individuel.

  • Comment évaluez-vous le succès du processus de transition ? Quels indicateurs utilisez-vous ?

    C’est une question difficile car il n’y a probablement pas d’indicateur parfait. Une transition réussie est une transition avec laquelle le patient est à l’aise et y trouve son compte ! Les histoires médicales et les parcours de vie de nos patients sont très différents et leurs attentes sont également très variables. Certains patients sont très en demande d’un certain degré de démédicalisation une fois parvenus à l’âge adulte, d’autres n’aimeraient pas trop que leur prise en charge compte. C’est aussi une question de maturité et en quelque sorte d’appropriation de la prise en charge médicale car les parents sont progressivement moins présents qu’en pédiatrie. La communication avec le patient sur ses attentes est un élément clef du succès de la transition. En termes d’indicateur, l’absence de ‘perdus de vue’, la régularité des visites, l’observance thérapeutique et aux examens constituent des indicateurs quantitatifs de succès de la transition. L’autonomisation progressive du jeune adulte dans sa prise en charge (tenue du dossier, prise de rendez-vous) en est un supplémentaire.   

  • Pouvez-vous décrire comment vous collaborez avec le pédiatre hépatologue pour assurer une transition en douceur des patients vers le service adulte ?

    Très simplement et facilement, en anticipant le plus possible (c’est facile car nous avons un dossier médical partagé dans l’établissement). Nous avons également une réunion de concertation pluridisciplinaire mensuelle qui est mixte (pédiatres et hépatologues d’adultes) qui aide beaucoup la communication.

  • Quelles sont les principales informations et données que vous échangez avec les pédiatres pour préparer la transition des patients ?

    Tout dépend bien sûr de la pathologie et du vécu de la maladie par le patient et sa famille. Outre les informations médicales évidentes (diagnostic, traitements, complications éventuelles, pronostic), les informations plus personnelles sont très importantes (répercussion de la maladie sur le développement du patient, conséquences sur sa famille, son parcours scolaire, influence psychologique, difficultés éventuelles d’observance) et facilitent énormément le travail du praticien d’adultes qui va prendre le relais.

  • Donnez-vous des nouvelles des patients devenus adultes à vos collègues pédiatres ? Si oui, pendant combien de temps ou à quelles occasions ?

    Oui, bien sûr ! Un double du courrier est systématiquement adressé au pédiatre qui a pris en charge le patient, sans limite de temps. En cas de difficultés (observance thérapeutique, complications, etc.), la réunion de concertation pluridisciplinaire est bien entendu un espace d’échanges privilégié. Dans certains moment clé de la prise en charge (projet de transplantation hépatique, complications sévères) nous contactons l’équipe de pédiatrie pour discuter et/ou renforcer l’accompagnement du patient dans son parcours.  

  • Menez-vous des actions (visite des locaux, temps de consultation allongés, 1ère visite en présence des parents, …) ou donnez-vous des conseils spécifiques aux patients pour les aider à s’adapter aux différences dans la prise en charge entre les services pédiatrique et adulte ?

    Pas encore de manière systématique mais c’est sans doute un point sur lequel nous pouvons travailler. Ceci dit, chaque patient et différent avec un vécu de la maladie et une histoire qui sont très personnels et ce qui est vrai pour un patient ne le sera pas du tout pour un autre. Comme pour beaucoup de choses en médecine, le maître mot est l’adaptation ! De façon ponctuelle nous alternons quelques consultations : le pédiatre est présent à la première consultation adulte ou inversement le spécialiste adulte est présent à la dernière consultation pédiatrique. En cas de projet de transplantation hépatique, la visite des locaux et la présentation de l’équipe en présence de parents est systématiquement réalisée.

  • Quels sont les principaux défis que vous rencontrez lorsque vous recevez des patients transférés du service pédiatrique ?

    L’observance thérapeutique est un défi majeur car la fin de l’adolescence et l’âge adulte jeune sont habituellement des périodes où la prise d’un traitement n’est pas forcément une priorité du quotidien. Ceci est d’autant plus vrai que les patients qui prennent des médicaments depuis longtemps rapportent fréquemment une certaine lassitude à la prise thérapeutique. Il est donc important de rappeler les objectifs qui sont parfois légèrement différents entre le pédiatre et l’hépatologue d’adultes. L’un des principaux défis est également de saisir comment le patient jeune adulte souhaite gérer sa prise en charge médicale. Certains patients souhaitent continuer à être pris en charge comme en pédiatrie (en particulier avec l’aide de leurs parents) alors que d’autres viennent seuls en consultation et souhaitent « prendre les manettes ». La discussion sur les attentes de chaque patient est donc indispensable.

  • Pouvez-vous nous donner un exemple d’une situation difficile que vous avez rencontrée lors d’une transition et comment vous l’avez résolue ?

    Toujours dans le champ de l’observance thérapeutique, concernant une jeune patiente qui avait de gros problèmes de prise du traitement depuis plusieurs années avant la transition. Alors que les premières consultations ont confirmé un défaut d’observance important, le fait d’expliquer à la patiente les objectifs à plus long terme lui ont permis de comprendre les enjeux de la prise du traitement et surtout de se projeter dans un arrêt probable des médicaments en cas de succès thérapeutique, ce qui l’a énormément motivée. Il faut signaler toutefois que la patiente a également mûri et mieux saisi les enjeux. La période de la transition coïncide avec le grand changement personnel du passage à l’âge adulte, il faut savoir rester vigilant à la manière dont nos jeunes patients changent sous nos yeux.

Interviews du Dr Aumar, du Pr Louvet et du Pr Dharancy

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